Errance

Il faisait plutôt beau lorsque Rilend ouvrit les yeux. Elle avait dormi roulée en boule au creux d'un bosquet, sans couverture ni duvet: elle aimait voyager "léger". C'était aussi ce pour quoi elle se refusait à avoir un cheval. Un cheval, c'est bien gentil, ça va vite. Mais, pour la discrétion, ce n'était pas gagné! Et puis, voyager hors des sentier battus, se couler sous les branches ou escalader un rocher pour trouver un chemin encore plus isolé, c'était pour le moins compliqué à faire avec un cheval.
Elle se leva, s'étira longuement en baillant, ce qui lui donna un air félin. Ses longs chevaux cascadaient sur ses épaules, elle les démêla avec un petit peigne qu'elle gardait toujours sur elle. Elle récupéra son katana, qu'elle remit à sa ceinture, défroissa et débarrassa des feuilles qui y étaient accrochées ses vêtements de cuir couleur chocolat, vérifia qu'il n'y avait aucune trace de son passage et se mit en marche.
Rilend, ou plutôt Astyr, comme elle se faisait appeler, ne se déplaçait pas dans un but donné. Elle vagabondait, depuis la mort de son maître et de ses parents. Les deux assassinés par les Kanons. Elle aurait donné n'importe quoi pour pouvoir venger son maître. Et, accessoirement, sa famille décimée. Astyr frôla le katana qui pendait à sa ceinture et eut un sourire pour le moins carnassier. Certes, elle était loin d'être une pro, mais se défendait plutôt bien à mains nues, où sa souplesse lui donnait des avantages, et au katana, où c'était son agilité et ses réflexes qui l'aidaient. Ces qualités compensaient son manque de force et de puissance.
Le soleil était levé depuis moins d'une heure, et ses rayons ne parvenaient pas encore à dissiper la fraîcheur de la nuit. En résultait un air vivifiant, qui la revigorait. Une bue légère sortait de sa bouche à chaque expiration, et son teint pâle, dans la lumière blafarde du petit matin, semblait presque blanc.
Elle s'était arrêtée, juchée sur un rocher, pour prendre son petit déjeuner, composé de baies cueillies en marche et d'une pêche piquée sur un arbre, lorsqu'elle entendit quelqu'un approcher. Méfiante, elle bondit aussitôt sur ses pieds et posa la main sur son katana, prête à combattre ou à fuir.

[Paaaauvre Tobi...alors que Tobi avait la gentillesse de répondre à mes messages solitaires^^
Itatchi: Ok, c'est pour ça alors, c'est pas mon ordi]

Lorsqu'il apparut, encapuchonné, dissimulé dans ses vêtements épais et noirs, Rilend se raidit. Elle resta là, figée, sans prononcer un mot, face à l'homme -malgré le masque qui dissimulait ses traits, on ne pouvait pas ne pas distinguer qu'il s'agissait d'un homme- qui lui faisait face. Son souffle, imperceptible, formait de loin en loin une légère buée au dessus de sa bouche, vite dispersée par le vent froid qui s'était remis à souffler.
Lorsqu'il s'avança, le cœur de la jeune femme battit plus fort. Elle était comme les bêtes sauvages, elle n'aimait pas la proximité. Il retira sa capuche, dévoilant son visage recouvert d'un masque, et ses cheveux, noirs comme ceux de Rilend, mais plus ébouriffés. Rilend étreignit son katana, à deux mains, comme si sa vie dépendait de l'étreinte qu'elle maintenait ainsi. Puis, peu à peu, elle se raisonna. Même s'il était apparu un peu par surprise, même s'il avait l'air spécial avec son masque et ses trois tonnes de vêtements, il n'avait pas l'air bien belliqueux, cet homme. Rilend se décida à abaisser sa lame. Le katana étincela, captant fugitivement un rayon de soleil lorsqu'elle le ramena vers sa taille, avant de glisser parfaitement dans son fourreau avec un chuintement feutré. Comme un feulement.
Celle qui se faisait appeler Astyr fixa de ses yeux, ces grands yeux noirs qui illuminaient son visage pâle, l'homme face à elle. Ils étaient proches à présent, deux mètres tout au plus, mais Rilend ne craignait plus cette étrange apparition humaine. La jeune Iyoku ne dit rien pendant un long moment, un moment durant lequel le vent tomba, et le soleil se leva totalement, dardant ses rayons sur les deux Ryuuketsu immobiles, sans parvenir à réchauffer l'atmosphère. Finalement, Astyr lâcha son katana -en effet, quoique rangé, sa main était restée posée sur la poignée du sabre. Méfiance, toujours...- et s'avança elle aussi, circonspecte et prudente. Elle s'arrêta à un mètre de l'homme, et ce fut elle qui parla la première:

"Quel est ton nom?"

Sa voix, douce et mélodieuse, avait retenti sous les frondaisons. Cependant, quoique poli, son ton n'était pas chaleureux. Elle restait méfiante, et, si on ne l'avait pas perçu dans son attitude corporelle -épaules tendues, mains ouvertes, regard alerte un pied légèrement en arrière pour servir d'appui au cas où- quiconque aurait entendu sa voix aurait deviné que Rilend se méfiait un peu.
Elle n'ajouta rien, et la buée qui s'échappait de sa bouche forma, au dessus de sa tête, une brume illuminée par le soleil, en suspension.
Rilend ne bougeait pas, on aurait dit un fauve face à un ennemi, indécis.

( Pas grave ! ^^ Tobi voit que c'est un beug... Tobi pardonne ! Tobi est un bon garçon ! )

L'inconnu masqué laissa approcher la femme d'un mètre de plus. Il jeta furtivement son unique oeuil vers sa droite, sans pour autant bouger sa tête. Pensait il à s'enfuir ? La jeune femme rangea son katana, mais l'homme savait qu'elle n'était pas totalement détendue, elle avait gardé une main sur le fourreau de son épée... Au tranchant redoutable sûrement... Il déglutit en imaginant la lame s'enfoncer dans sa chaire... Lorsqu'elle fut à un mètre de lui, il lança un petit regard vers la main qui tenait l'arme fermement. Lui non plus n'était pas très détendu... Il avait un naturel peureux. Enfin quelque chose qu'il apprenait sur lui même... Son unique oeuil , à travers le trou de son masque orange, se reposa sur la jeune femme aux cheveux noirs corbeaux lorsque celle ci lui demanda son nom. Comment s'appelait il déjà ? L'inconnu masqué baissa la tête un instant avant de répondre. Il devait réfléchir... Il leva sa tête soudainement et dit le premier nom qui lui vint à l'esprit :

" T... To... Tobi ! Tobi ! C'est bien mon nom ! "

Il avait une voie étrange, et il donnait l'impression d'être un enfant lorsqu'il parlait. Un enfant un peu attardé peut être même. Il cligna son oeuil et demanda à son tour :

" Et vous ? Comment vous vous appelez ? "

Il ne l'avait pas remarqué de suite, mais le soleil était complètement levé maintenant. Les rayons de l'astre doré caressèrent le sol ,comme si l'on y avait jeté de la poussière d'or, et illuminèrent le ciel. Tobi tourna la tête vers sa droite un petit moment, là où il pouvait voir le soleil se lever. C'était beau, des rubans jaunes bariolaient le bleu du ciel et se posait parfois sur des bouts de coton blancs qui semblait flotter là haut... Les arbres aussi étaient éclairés par cette lumière chaude et douce. Tobi en avait presque oublié la présence de la jeune femme en face de lui.

Rilend l'écouta parler. Peu à peu, elle semblait se détendre. Le feu ardent dans ses yeux noirs s'apaisa pour n'être plus qu'une flamme douce, ses traits semblèrent plus souples, un léger sourire s'afficha sur son visage. Sa main quitta son katana. Il n'était pas un risque, cette certitude s'imposait peu à peu dans son esprit. Malgré son aspect étrange, l'homme aux cheveux aussi noirs que les siens ne semblait pas être un guerrier, du moins il n'avait aucune velléité de combat.
Rilend entendit son nom. Tobi...un déluge de souvenirs afflua à sa mémoire. Enfant, sur son lit, bien au chaud sous sa couette, sa mère assise à ses côtés, lui racontant une histoire pour l'endormir. Elle avait cinq ans. La lumière de la chandelle vacillante sublimait les traits de Silia, fins et réguliers, des traits dont elle avait hérités, mais qui étaient plus caractérisés, plus sauvage sur son visage. Rilend se souvenait...
Les cheveux blonds, presque blancs, de sa mère, formant un voile traversé par la lumière, ses yeux bleus aux paupières baissées, concentrés sur sa lecture, sa peau hâlée, tout le contraire de sa fille, si pâle qu'on l'aurait prise pour un elfe. Mais, pourquoi ce nom lui rappelait-il cette scène, vestige d'un bonheur passé devenu une blessure?
Elle se souvint...Le héros de l'histoire s'appelait Tobe. Tobe, Tobi...la proximité de prononciation l'avait abusé.
Rilend réalisa qu'une larme troublait sa vue. Une perle unique, qui ne coulait pas mais humidifiait ses yeux noirs. Elle l'essuya.
Parenthèse fermée.
Elle tourna les yeux vers Tobi. Comment s'appelait-elle? Un instant, elle fut tentée de répondre, comme de coutume "Astyr". Astyr...ce nom qui n'était pas le sien et sous lequel, pourtant, on la connaissait. Ce nom qu'elle donnait toujours à la place de son vrai nom, Rilend. Astyr...ce n'était pas son nom mais, à force de le donner, à la place de son véritable nom, il était peu à peu devenu sien. Elle n'était plus Rilend. Elle était Rilend, ET elle était Astyr.
Elle voulut d'abord se nommer par ce nom factice devenu sien. Mais, sans savoir pourquoi, elle faisait confiance à Tobi. Elle ne voulait pas lui mentir, et ce furent d'autres mots que ceux qu'elle avait voulu prononcer au début qui franchirent ses lèvres:

"On m'appelle Astyr, c'est sous ce nom que l'on me connaît, mais en réalité, je m'appelle Rilend."

Sa voix résonna étrangement sous le soleil.
Elle recula de quelques pas et grimpa sur son rocher, posa son katana à côté d'elle -geste ne pouvant qu'indiquer ses intentions pacifiques- et s'assit négligemment, jambes croisées, penchée en arrière, une main posée sur le roc pour assurer son équilibre. Elle prit le temps de passer ses doigts dans ses longs cheveux noirs, y récolta deux brindilles, puis darda ses yeux sur Tobi. De pierre ils étaient devenus velours. Mais toujours de nuit.
Elle se permit même un petit sourire, à l'adresse de l'homme. Un sourire où on pouvait déceler une trace de chaleur. Sa voix, lorsqu'elle résonna sous les ramures, était musicale, mélodieuse, et amicale:

"Alors, qu'est ce qui t'amène par ici Tobi?"

Sans attendre la réponse du jeune homme, elle récupéra la pêche restée sur le rocher et acheva son repas, croquant dans sa pêche volée. Puis regarda Tobi et eut un remord. Il n'avait peut-être pas mangé, lui non plus. Avec un air embêté, elle lui tendit la moitié restante du fruit, dégoulinant de jus et mûr à point:

"Désolée. Tu en veux?"

Elle lui adressa un sourire un peu contrit.

"Merci Astyr-chan! Tobi avait faim!"
Ce terme, Astyr-chan, et la manière de Tobi de parler de lui à la troisième personne surprirent quelque peu Rilend. Elle perdit un peu de contenance, se redressa et fixa Tobi...puis décida de passer outre. Chacun son truc. La jeune femme, la panthère noire comme son père se plaisait autrefois à l'appeler ainsi, se reposa comme avant, négligemment assise sur le rocher, et observa Tobi. Il n'avait pas répondu à sa question, avec tout cela!
Rilend soupira intérieurement. Elle n'aimait pas faire la conversation. Sauf que...cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas parlé à quelqu'un. Elle tourna ses yeux noirs vers Tobi. Il avait englouti la pêche en un rien de temps, il devait avoir faim. Rilend, à présent, ne regrettait plus de lui avoir proposé de partager sa pêche. Même si elle aussi avait un peu faim. Le manger devant le jeune homme visiblement affamé aurait pu s'apparenter au plus raffiné des supplices chinois. La jeune femme s'étira, bailla, ce qui renforça sa ressemblance avec une panthère. Une fleur, se détachant d'un arbre bourgeonnant, lui tomba sur la tête et glissa dans ses cheveux, lui donnant l'air d'une gamine coquette. Rilend eut un petit sourire, attrapa entre deux doigts la fleur et l'observa un moment, puis, avec un regard un peu espiègle et ironique, elle l'envoya à Tobi. La fleur, rouge et rose, tomba aux pieds du jeune homme. Rilend eut l'air contente d'elle.
La jeune femme observa Tobi, attendit quelques secondes. Un coup de vent qui secoua les ramures des arbres, encore pleines de rosée, la doucha copieusement. Elle poussa un grognement contrarié et changea de position: elle n'aimait pas la pluie.
Elle descendit de son rocher, avança vers Tobi et lui lança, gentiment ironique:

"Tu ne m'as toujours pas répondu...qu'est ce qui t'amène ici? A moins que tu ne fasse comme moi: vagabonder au hasard des chemins..."

Elle fit un pas ou deux et s'immobilisa.
Trempée par la pluie, la petite fleur rose qu'elle avait lancé, espièglement, aux pieds de l'étrange jeune homme masqué, était toute repliée.

Lorsqu'il posa la fleur dans la paume de sa main, Rilend eut un petit sourire, pour elle-même. Bien sûr, elle n'avait eu aucune arrière-pensée en lui lançant la fleur, c'était une simple plaisanterie. Quand même, elle trouvait la réaction de Tobi très mignonne. Finalement, il était marrant ce jeune homme. Elle ne savait pas quel âge il avait, ne voyait pas ses traits, mais elle ne pouvait penser à lui autrement que comme à un jeune homme. Il semblait fatigué, comme s'il n'avait pas dormi, mais ses cheveux ébouriffés indiquaient joyeusement le contraire.
"Tobi ne sais pas se qu'il fait ici, Tobi s'est réveillé dans la forêt en se sachant plus ce qu'il faisait là... !"
Rilend fut de nouveau étonnée par l'habitude de Tobi de parler de lui à la troisième personne. C'était d'autant plus surprenant que, elle, il la tutoyait. Cela ne la dérangeait pas, c'était même le contraire. Elle détestait être vouvoyée, après tout elle n'avait pas trente ans! Le tutoiement lui convenait mieux, d'ailleurs elle tutoyait tout le monde. Même les personnes qu'elle rencontrait pour la première fois de sa vie. Elle tutoyait, point. C'était naturel.
Elle hocha la tête et s'abstint de tout commentaire. Il était amnésique? Plutôt surprenant. Enfin, cela expliquait peut-être son allure pour le moins étrange. Sauf le masque et la manière de parler. Mais, après tout, ce n'était pas par prétention qu'il parlait ainsi de lui, et ce masque, elle ne savait pas pourquoi il le portait, mais cela ne la dérangeait pas de ne pas voir les traits de son interlocuteur.
La jeune femme sourit lorsque Tobi lui tendit une pêche. Il était donc si visible qu'elle avait faim? C'était vrai qu'une pêche n'était pas très nourrissante...il faudrait qu'elle aille chasser, mais faire du feu, déjà, avec cette forêt trempée, ressemblait à une utopie, et de plus, si elle y parvenait, la fumée signalerait immanquablement sa présence aux villageois. Ce qui n'était peut-être pas une bonne idée. Elle était douée, mais face à tout un village...
Rilend accepta le fruit avec un sourire.
" Tu as faim aussi Astyr chan, non ? "

"Tu l'as deviné?"

Elle croqua dans la pêche, puis se rendit compte qu'elle n'avait rien dit d'autre. Et le mot magique, hein? Rilend regarda Tobi, lui adressa un sourire cette fois tout à fait chaleureux et plutôt confiant:

"Merci Tobi."

Elle réalisa que c'était la première fois depuis qu'ils avaient commencé à parler qu'elle l'appelait par son prénom. Amusant. Lui, pourtant, ne se gênait pas. Il l'appelait Astyr, pas Rilend. Avait-il compris que ce nom, Astyr, était un pseudonyme? Elle se colla une claque mentale: ne pas prendre le gens pour des crétins! Il avait sans doute compris...
Elle croqua dans la pêche, juteuse à souhait. Elle l'engloutit -le terme manger ne convenait pas pour décrire sa manière de dévorer la pêche- en quelques secondes.
Essuyant d'un revers de main le jus qui lui coulait sur le menton, et léchant ensuite ses doigts poisseux -geste plus digne d'une gamine que d'une jeune femme comme elle, mais Rilend était, quelque part, restée une adolescente.- elle posa ses yeux sur Tobi, avec curiosité. Toujours avec son masque.
Il était amnésique. Donc, l'interroger sur son passé ne servait à rien.
Elle choisit une autre question qui la turlupinait un peu:

"Pourquoi donc portes-tu ce masque, Tobi?"

" Tobi sais pas Astyr chan ! Tobi l'avait sur le visage en se réveillant. Tobi aime pas l'enlever. "
Rilend hocha la tête. Quelque part, ce masque était un lien avec son passé oublié...elle comprenait qu'il n'aime pas l'enlever. Comme son prénom, qu'elle préférait garder pour elle, le dissimulant sous un autre nom. Mais c'était aussi parce que ce nom, Astyr, était celui que son maître défunt, Morio, lui avait donné. Il l'avait trouvé, gamine de 15 ans, perdue, totalement asociale. Méfiante. Il avait su apprivoiser la bête sauvage qu'elle était devenue, avec tact et patience. La rencontre lui revenait en tête.
Elle se tient tapie sous un rocher. Blessée, par les griffes d'un loup. Elle a fui, tant bien que mal. Mais, dans son état, elle ne peut plus chasser pour se nourrir. Ni se sauver. Et elle dépérit, peu à peu, de faim et de froid.
Il s'approche, sabre à la main, il piste une proie. Les flocons brouillent sa vue. Rilend se lève, prête à fuir, mais si faible qu'elle devait s'appuyer au rocher pour rester debout. Morio la voit. Il ne bouge pas, surpris de rencontrer une gamine de quinze ans en plein hiver, dans la forêt. Puis il s'approche. Elle tente de fuir, il la saisit par le poignet. Elle recula, s'accule. Elle se débat, il la relâche. Elle voudrait fuir mais ne le peux. Morio la dévisage. Il est grand, des cheveux châtains clair un peu ébouriffés par le vent, des yeux pénétrants, couleur de forêt. Vert sombre.
Il lui demande, doucement:

"Que fais-tu ici?"

Elle ne répond pas, se blottit sur elle-même tout en restant debout. Morio l'observe toujours. Il saisit sa main, elle tente de se dégager et de nouveau il la lâche. Elle est comme une bête sauvage sans défenses. Il lance:

"Viens, il faut te soigner, il y a un village pas loin."

Le seul mot de village l'a fait sursauter. Elle peine à se maintenir debout.

"J'irais...pas. Pas...le village."

Morio réplique:

"Tu vas mourir si on ne te soigne pas."

"M'en fiche. Je suis...déjà morte aux yeux des gens. Personne ne me regrettera. Personne!"

Morio marque une pause. Il sent la détresse de la gamine, mais comment aider une fille qui ne craint même pas de mourir? Soudain Rilend se lève, vacille. Elle est blême, tombe en avant, évanouie. Morio la rattrape, la traîne plus que ne la porte, et l'amène à son campement, pas loin.
Il la soigne, et en la contemplant, fiévreuse, endormie, une bouffée de tendresse lui vient. Il veut la protéger.
Rilend se réveille. Elle a mal. Mal au flanc, son flanc blessé, et à la tête. Elle réalise qu'elle est sous une couverture. Sa plaie est bandée. Rilend sursaute. Cherche le danger du regard. Morio lui rend son regard, un sourire vient sur ses lèvres. Il s'accroupit à ses côtés, pose une main sur son front, puis sur sa main, et ce geste stoppe le mouvement qu'elle esquissait.

"Enfin réveillée...tu te sens mieux?"

"J'avais dit...non."

"Tu n'es pas au village."

Rilend capitule, Morio reprend:

"Quel est ton nom? Que faisais-tu là-bas?"

Rilend voudrait répondre, se défendre, se sauver, mais elle est trop faible pour fuir. Elle voudrait ne pas répondre, mais Morio lui inspire confiance. Et il faut qu'elle parle. Son chagrin, qu'elle croyait oublié, remonte brusquement à la surface. Et la panthère redevient adolescente. Elle ferme les yeux. Mais les larmes montent. Et débordent.
Et c'est entre des sanglots rauques qu'elle révèle son histoire à Morio:

"Je viens du village. Mais...des Kanons ont attaqué. Mes parents...ont voulu me défendre."

Sa voix devient saccadée, son ton se précipite, formant des phrases décousues.

"Je...mon père...étendu devant moi...mort...il l'avait tué...Et il a tué ma mère aussi...avec son sabre...il a voulu me tuer...Je me suis sauvée. J'ai balancé une pierre dans la rivière...du sang sur la rive...il m'a crue morte. Me venger...La forêt...toute seule...
Cinq mois déjà..."

Elle lâche prise, larmes et mots se télescopent et elle ne peut continuer à parler. Dire sa douleur et sa haine. Elle veut s'asseoir, et brusquement, posant un bras sur l'épaule de Morio, elle sanglote éperdument. Ému par la détresse de la jeune fille, le maître la serre contre lui, passe une main dans ses cheveux comme on le fait pour rassurer un enfant qui a peur, et la garde là, contre lui, tout le temps qu'elle pleure, en lui murmurant d'une voix douce à l'oreille:

"Chut...c'est fini...calme-toi..."

Enfin, elle se calme. Essuie ses yeux. Reste dans la même position un bon bout de temps. Puis réalise qu'elle est dans les bras de Morio. Se relève. Regarde l'homme, qui lui sourit et pose sa main sur son bras.
Elle n'a rien de spécial, cette gamine, mais il veut lui offrir une chance. Il lui sourit et dit doucement:

"Tu ne peux pas repartir dans cet état. Promets-moi d'attendre avant de t'en aller, si tu le souhaites. Quand tu le pourras, si tu le veux toujours, je ne te retiendrais pas."

Elle s'apaise. Il lui demande de nouveau:

"Quel est ton nom?"

Elle souffle:

"C'est tout ce qu'il me reste..."

Et il comprend. Alors, souriant, il dit:

"Pour moi, tu seras Astyr, jeune fille."

******

Un mois plus tard, elle est complètement rétablie. Morio l'observe qui joue avec une feuille. Il a l'air triste, il sait qu'elle va partir. Elle surprend son regard, il détourne ses yeux vert foncé. Elle comprend, vient vers lui. Lui sourit:

"J'ai pris ma décision."

Il déglutit. Il sait de quoi elle parle.

"Et?"

Elle a l'air indécise. Gênée. Elle ouvre la bouche, Morio retient son souffle.

"Je veux rester avec vous."

Il sourit. Un poids s'enlève de ses épaules. Il la prend dans ses bras, la serre contre lui. Une semaine plus tôt elle se serait dérobée. Elle se laisse faire.
La panthère noire est apprivoisée.
Morio lui glisse:

"Merci."

Alors elle lui rend son étreinte, souriante, elle a l'impression de retrouver son père. Elle reste ainsi longtemps.
Elle ne veut plus le quitter.

Retour à l'instant présent. Rilend sourit à Tobi, et vint se jucher sur le rocher, à côté de lui. Elle ne dit rien. Pas tout de suite. Elle prit le temps de savourer le silence.
Jusqu'à ce qu'elle réalise.
C'est ici qu'elle a rencontré Morio.

( Rhoooooo pauvre Rilend chan ! C'est snif ton histoire... )

Quelques instants, Rilend regardait dans le vide. Perdue dans ses pensées sans doute. Tobi n'avait pas cessé pour autant de regarder la jeune femme. Il la sentait distante,sauvage; surtout la première fois qu'il la vit, le katana à la main.... Il avait eu peur à ce moment là... Il la regarda redresser la tête, lui sourire chaleureusement et s'asseoir à coté de lui sur le rocher. Elle ne dit rien, et resta silencieuse. Tobi, en s'apercevant qu'il fixait déjà Rilend depuis un bon moment, toussota un peu et détourna sa tête masquée de la jeune panthère noire. Il regarda un peu où ils étaient, beaucoup de rocher et d'arbres. Là où ils se trouvaient il y avait un peu de gravier par terre, de gros rochers sur lequel ils pouvaient s'asseoir, comme maintenant. Des sapins au pied desquels se trouvaient quelques aiguilles qui s'étaient décrochées par quelques rafales de vent, des arbres fruitiers qui n'avait soit rien du tout, soit quelques fruits ou bien des fleurs accrochés aux branches.
Tobi s'appuya sur ses mains posées sur le rocher et continua de regarder autour de lui. Maintenant le soleil était encore un peu plus haut, et approchait du zénith. Mais il faisait toujours un peu frais, sans que sa soit désagréable. Il y avait peu de vent, quelques bourrasques parfois assès puissantes pour pousser quelques branches d'arbres et des arbustes mais c'était rare. Tobi appréciait cet endroit, ce temps, ce rocher. La présence de Rilend aussi. Tout ça faisait un ensemble agréable. Le jeune homme masqué leva sa tête vers le ciel et regarda des petits nuages blancs passer là haut, dans le ciel d'azur.

[J'avais envie de faire un truc du genre^^]

Rilend remarqua que Tobi semblait noyé dans ses pensées. Ou bien dans la contemplation du paysage. Au choix. C'était vrai que c'était beau, la forêt encore humide de la pluie récente gouttait légèrement, par moments, le soleil, bien levé, traversait les feuillages et nimbait la clairière d'une douce lueur émeraude, loin au dessus de leurs têtes, le ciel était d'un bleu azur et les nuages de coton blanc naviguaient paresseusement. Rilend, mains posée sur le rocher derrière elle, renversa la tête en arrière et contempla le ciel au dessus d'elle, les arbres dont les ramures bruissaient paresseusement.
Un cadre splendide, une compagnie agréable, que souhaiter de plus?
Rilend tourna la tête, Tobi était, comme elle, en train de regarder les nuages. Elle le détailla, ce masque orange l'intriguait toujours, et avait d'abord éveillé sa méfiance, mais finalement il était plutôt gentil ce Tobi. Depuis la mort de Morio, Rilend vivait plutôt seule. Maintenant, elle éprouvait le lancinant besoin de se lier à nouveau. L'être humain était après tout un animal social.
Elle sourit et reporta son attention sur la clairière. Les souvenirs envahirent de nouveau son esprit. Cette fois beaucoup moins gais.

C'est une belle journée d'été. Morio et elle se sont arrêtés dans une petite prairie, traversée d'une rivière qui forme un lac. Le maître et l'élève commencent par s'entraîner, au sabre et à mains nues, Rilend a beaucoup progressé et parvient presque à désarmer Morio.
Puis le maître désigne d'un mouvement de menton l'eau qui clapote, semblant les appeler.

"Un bain?"

"Avec plaisir!"

Ils se débarrassent de leurs vestes de cuir, et, en sous-vêtements, bondissent à l'eau comme deux gamins, ils jouent à s'éclabousser et se couler. Morio ne fait pas le poids face à Rilend, dont la souplesse lui donne un gros avantage sur le maître.
Il fait nuit lorsque, trempés, ils sortent de l'eau en riant.
Comme deux gamins.

******

Le combat fait rage, sabre contre sabre, poing contre pied. Les assaillants les ont surpris alors que la lune était pleine. Ils venaient de terminer leur dîner, se préparaient à dormir, lorsque Rilend avait remarqué les hommes.
Elle leur avait bondi dessus, ils se battaient.

Morio chancelle, les hommes fuient. Rilend n'a rien eu le temps de faire, elle ne peut que rattraper son maître. Elle l'allonge dans l'herbe.
Morio est blême, le sabre lui a transpercé la poitrine. Lui comme elle savent que la blessure est mortelle. Les larmes coulent sur le visage de Rilend tandis qu'elle regarde son maître agoniser.
Morio trouve la force, malgré la douleur, de lui sourire.

"Il a tapé fort."

Rilend ne répond pas, puis murmure:

"Que vais-je faire sans vous?"

"Tu vas vivre, Astyr...Tu vas vivre...
Et je serais toujours avec toi."

Astyr ferme les yeux pour dissimuler ses larmes. Il l'appelle toujours Astyr, même si elle lui a révélé son vrai nom. Morio sourit, ferme les yeux.

"Tu sais, tu es comme la fille que je n'ai jamais eu, Rilend..."

Rilend pleure sans même s'en rendre compte.
Morio expire dans ses bras.
Matin.
Rilend, le corps de son maître dans ses bras, regarde le soleil se lever.
Jamais aube n'a été si triste.

Rilend se rendit compte qu'elle pleurait. Elle essuya ses larmes d'un revers de main et tenta de sourire à Tobi, qui devait l'observer, intrigué.
Elle n'y parvint même pas.

Rilend devina que Tobi avait vu qu'elle pleurait. Il faut dire que ce n'était pas sorcier. Quand quelqu'un a les yeux pleins de larmes et n'arrive même pas à vous sourire, il n'y a pas besoin de faire un dessin!
Elle porta son regard au loin, sur la clairière, en tentant vainement de disperser ses pensées. Tout sauf penser à ça. Sinon elle n'avait pas fini. Elle regarda Tobi, qui paraissait bien embêté. Elle espérait juste qu'il ne pensait pas qu'elle pleurait à cause de lui.
Le jeune homme posa sa main sur celle de Rilend et serra. Elle n'arrivait pas à sourire -du moins, pas d'un sourire qui n'aie pas l'air forcé- mais elle lui rendit son étreinte, et cette simple marque de sollicitude lui fit chaud au cœur. Ça fait plaisir de ne pas ce sentir seule dans ces cas-là.
Elle remarqua un mouvement de sa main libre et l'observa à la dérobée. Il saisissait la petite fleur qu'elle lui avait jeté, geste enfantin, aux pieds. Il l'avait donc gardée? Rilend ne s'y attendait pas. Et encore moins à ce qui suivit, puisqu'il lui glissa la plante dans les cheveux, et essuya d'un geste rapide une partie de ses larmes. La familiarité de l'attitude, qui l'aurait gênée normalement, ne la dérangea pas. Tobi avait réussi à gagner sa confiance en un temps record, par sa simplicité et...sa naïveté, un peu? Pas tant que ça. Juste sa gentillesse.
"Pourquoi tu pleures Astyr-chan?"
"Tobi aime pas quand tu pleures Astyr-chan..."
La voix était triste et enfantine. Rilend ferma les yeux une seconde, le temps de rassembler ses pensées. Décidément, il était désarmant, ce Tobi.
La jeune femme tourna son regard noir, humide, une flamme douce et triste dans ses prunelles, les joues encore mouillées, mais sans qu'une l;arme n'y coulât, vers le jeune homme ébouriffé:

"Je...c'est un peu compliqué. Tu n'as rien à voir avec ça..."

Cela ne voulait pas dire "ce ne sont pas tes oignons" mais "ce n'est pas ta faute". En effet, Tobi avait eu l'air comme coupable, un moment. Elle ne voulait pas qu'il croie que c'était à cause de lui qu'elle pleurait.
Elle le regarda, et choisit de lui en dire un peu plus:

"C'est en pensant à ce nom que j'utilise...si j'ai choisi qu'on m'appelle Astyr, c'est parce que mon maître, Morio, m'a nommé ainsi, avant que je lui révèle mon vrai nom. D'ailleurs, même après, il n'a jamais voulu m'appeler autrement.
Penser à ça m'a amené à me rappeler le jour où je l'ai rencontré. Enfin, plutôt, le jour où il m'est tombé dessus par hasard. D'ailleurs, c'était ici. Au pied de ce rocher.
Et, par association d'idées...j'en suis venue à me souvenir du jour où...où il est mort. Et, évidemment, en y pensant...Enfin bref, tu m'as compris je crois.
Excuse-moi de ne pas détailler plus, mais si je continue, me connaissant je vais fondre en larmes à nouveau, et je ne suis pas sûre que ce soit une excellente idée. Parce qu'après, j'ai une vilaine manie: je ne m'arrête plus."

Elle lui adressa un petit sourire, triste, discret, mais sincère.

Rilend n'avait pas dit grand-chose, mais elle sentait que le jeune homme en avait compris pas mal. Cela ne la dérangeait pas, elle était méfiante mais, avec ses amis, détestait les cachotteries, les dissimulations. Soit on se méfie soit on est amis, faut savoir!
Elle sentait que Tobi la dévisageait, pourtant, elle ne le regardait pas, son regard restait posé sur la clairière. Oui, c'était bien ici. Ce vieux chêne au tronc noueux, là-bas...ce rocher, sous lequel elle s'était tapie, blessée...Elle reconnaissait tout, et sa mémoire lui montrait quantité de détails dont elle n'aurait jamais cru qu'elles les avait notés.
Tobi la dévisageait, elle le savait sans le voir. Elle savait quand on la regardait, c'était d'ailleurs assez pratique pour repérer les soupirants, autrefois, dans son village.
*Arrête, idiote, tu te fais du mal là!*
Elle se colla une baffe mentale. C'était fini. FINI. C'était du passé maintenant. Le passé, on ne le ressasse pas. On n'oublie pas mais on ne ressasse pas. On lui tourne le dos sans le renier et on va de l'avant. C'était, du moins, la philosophie de Rilend sur le sujet.
Elle parvint enfin, au prix d'un sacré effort, à distraire ses pensées de son passé pour le moins douloureux. Il faut dire que Tobi l'y aidait un peu là. Sa tentative pour changer de sujet était maladroite et flagrante, mais elle avait amusé la jeune femme, détournant donc ses pensées du sujet qui la préoccupait -un mot faible dans le cas présent- il y avait quelques minutes.
Ses yeux noirs étaient donc parfaitement secs lorsqu'elle les posa sur la clairière. Oui, c'était beau. Vraiment beau. C'était pour cela qu'elle aimait voyager, découvrir sans cesse de nouveaux paysages et en admirer la beauté...la nature n'était jamais laide, elle était superbe, majestueuse, somptueuse ou belle, mais jamais laide.
Elle acquiesça en souriant:

"Oui, c'est beau...c'est très beau, ici."

*Et il y a beaucoup de souvenirs...*

La panthère noire n'avait pas "compris" au sens propre du terme que Tobi avait laissé sa main sur la sienne. Cela ne la gênait pas, elle lui faisait confiance. Ce genre de contact lui était agréable...de toute manière elle ne s'en était pas rendue compte. Pas du tout.
Elle tourna ses yeux noirs vers Tobi, de glace ils étaient devenus velours.
Elle lui adressa un sourire:

"Au passage...tu as quel âge?"

Elle était comme ça, que voulez-vous...capable de discuter pendant trois heures avec quelqu'un, et puis, subitement, lui demander son nom ou son âge! Parce qu'elle avait oublié de le lui demander...
Elle ne lui demanda pas s'il était un Iyoku. Elle s'en doutait, sans savoir pourquoi. Enfin, si, elle avait. Ça ne passait jamais avec les Kanons. Un peu trop de rancune pour ça.
Elle adressa un sourire, "son" sourire, discret, effacé, mais chaleureux et tendre.
La panthère ferma les yeux, savourant le contact de l'air frais, des rayons de soleil, l'odeur de l'air, le murmure du vent, la compagnie de Tobi...
Elle se sentait bien.

Rilend adressa un nouveau sourire à Tobi, et elle aurait juré qu'il le lui avait rendu. Même si elle ne le voyait pas avec le masque, bien sûr. Et cela ne la dérangeait pas. Quelquefois on parle mieux à quelqu'un dont on ne voit pas le visage. La jeune femme ne bougeait pas, les yeux fixés sur le ciel illuminé par le soleil qui, à présent, approchait de sa position de midi. Tant de temps qu'ils discutaient déjà...Rilend ne l'aurait jamais cru. Elle entendit Tobi lui répondre. 19 ans? Oui, c'était vrai que c'était l'âge qu'approximativement on lui donnait en le voyant.
Elle sourit de nouveau et répliqua:

"Moi, j'ai 20 ans...enfin, 20 et demi."

Elle, elle se souvenait de sa date d'anniversaire et de son âge. Mais voilà bien longtemps qu'elle avait cessé de le fêter, cet anniversaire. Quel intérêt, quand on est seule? Quand personne n'est à vos côtés pour souffler les bougies, vous offrir un présent, entourer vos épaules d'un bras chaleureux en s'exclamant: Un an de plus, comme tu grandis vite! Quel intérêt, à fêter sa naissance alors que tous la croyaient morte, que tous s'en fichaient?
Aucun...
La dernière qu'elle avait fêté son anniversaire, c'était le jour de ses quatorze ans. La dernière année passée avec sa famille. Avant que les Kanons, en les tuant, fassent basculer son existence. Elle avait eu quinze ans le lendemain de la mort de ses parents. Voilà pourquoi elle ne voulait plus fêter ce jour qui lui rappelait de douloureux souvenirs, vestiges d'un temps heureux et d'une nuit de cauchemar. Même Morio n'avait jamais pu la convaincre de changer d'avis. Elle la lui avait donné, sa date d'anniversaire, et il n'avait jamais manqué de le lui souhaiter, malgré la désapprobation claire de la jeune femme.
Elle lui adressa un sourire, chaleureux, amical et amusé:

"Tu sais, en te voyant, je t'aurais donné environ une vingtaine d'années.
On peut dire que je ne suis pas tombée loin!"

Elle eut un rire léger, comme des trilles d'oiseau moqueur, qui s'éleva sous les ramures d'émeraude comme une douce mélodie cristalline. Puis la panthère, puisque c'était à cet animal qu'on la comparait souvent, tourna son regard noir vers le jeune homme, et lui adressa un nouveau sourire.
Elle ne posa pas d'autre question, interroger Tobi sur un passé qu'il avait visiblement oublié était stupide. Indiscret. Maladroit. Et, par-dessus tout, inutile.
Aussi savoura-t-elle le silence de la forêt somptueuse.

"Tu es belle Astyr-chan." Astyr, sous le coup de la surprise, détourna ses yeux noirs du paysage et les posa sur Tobi. Il aurait pu dire n'importe quoi...et il avait dit la seule chose qui surprenait la panthère. Rilend, prise au dépourvu, fixa Tobi quelques secondes sans rien dire. Elle ne savait pas vraiment que répondre...Alors elle choisit l'option "je ne répond rien", puis décida de répondre tout de même. Elle sourit:

"Je...heu...merci, Tobi...c'est gentil."

Pour un peu elle se serait foutu des baffes. Pour changer. Merci...ridicule au possible! Rilend se sentait ridicule...Ce qui était amusant, c'était que, venant de la part de quelqu'un d'autre, elle aurait cru qu'on se moquait d'elle ou qu'on avait une idée derrière la tête. Méfiance, toujours. Mais là, elle n'avait pas douté une seule seconde de la sincérité de Tobi. Non pas qu'elle se croie très belle. Mais il avait toujours l'air sincère...il l'était toujours d'ailleurs.
Rilend eut un sourire. Les personnes qui disaient clairement ce qu'elles pensaient, sans s'embarrasser de futilités ou de précautions oratoires, sans tourner autour du pot, lui plaisaient. Visiblement, Tobi faisait partie du lot. La panthère adressa un sourire à Tobi. C'est vrai que c'était gentil...elle ne savait pas s'il s'en rendait compte, mais le petit bonhomme là, avec son masque orange et ses cheveux en pétard, elle commençait à l'apprécier drôlement.
Rilend réalisa alors que le dernier à lui avoir dit sincèrement et directement "tu es belle", c'était son père, un soir où elle était descendue et avait fait "défilé de mode", un sport apprécié des petites filles. Elle n'avait que neuf ans.
Même au village, plus tard, ses soupirants, lorsqu'ils la complimentaient, n'étaient pas tout à fait sincères. Ou bien, ils tournaient autour du pot, ou avaient une idée derrière la tête. En l'occurrence, la séduire. Elle n'avait jamais entendu une autre personne que son père lui dire qu'elle était belle, pour le seul plaisir de faire un compliment. Même Morio, avare de compliments, mais qui, lorsqu'il la félicitait, le faisait sincèrement, ne le lui avait jamais dit. Quoique, pour lui, c'était sûrement par pudeur.
La panthère sourit à Tobi, et décida de lui faire part de ses pensées:

"Tu sais que le dernier à m'avoir dit ça, c'était mon père?"

Elle regarda le jeune homme s'étirer, ôter sa main de la sienne. Tobi tâta ensuite sa poche, où elle entendit cliqueter des pièces. Visiblement le jeune homme ne savait pas qu'elles étaient là. Depuis combien de temps s'était-il réveillé, d'ailleurs?
"Oulà!"
Et badaboum. Tobi les quatre fers en l'air, dans l'herbe humide et épaisse. Lorsqu'elle tourna un regard inquiet vers Tobi -elle craignait qu'il ne se soit fait mal- Rilend le vit achever un geste rapide, consistant visiblement à replacer son masque orange sur son visage. La jeune femme n'avait pas eu le temps de voir ses traits.
Astyr se laissa glisser avec souplesse de son rocher, s'approcha de Tobi et l'observa, un peu inquiète:

"Tobi, Ça va?"

Elle s'accroupit à côté de lui.
"Aïe... Tobi est vraiment pas doué Astyr-Chan..."
Elle eut un gentil sourire:

"Mais si, ça dépend juste des circonstances..."

Elle se releva, fit un pas en avant et lui tendit une main fine pour l'aider à se relever:

"Un petit coup de main peut-être, Tobi-chan?"

Elle lui adressa un sourire rayonnant et engageant.