Une présence insolite [Libre, venez!^^]

Il faisait jour, grand jour, le soleil brillait, soulignant les cuirasses de métal de certains habitants ou les bijoux d'autres, les réchauffant tous sans distinction. C'était jour de marché à Shinai, et la rue principale était très fréquentée, par une foule pour le moins hétéroclite. Trois gamins galopaient entre les passants, se passant en riant le chapeau d'un quatrième. Un couple marchait, l'homme avait passé le bras par-dessus l'épaule de sa compagne, et les deux restaient serrés l'un contre l'autre, flânant au milieu de la foule qui déambulait sans but précis. Sur une petite place ménagée par un cercle de curieux dansaient deux jeunes filles, très jeunes, guère plus de 15 ans. Leurs mouvements lascifs et suggestifs semblaient captiver les spectateurs, essentiellement des hommes. Il y avait aussi des marchands, ayant installé une grande table devant leurs boutiques, afin d'exposer leurs marchandises à tous.
L'un d'eux avait une magnifique boutique, pimpante, colorée, protégée par un auvent bleu ciel. Dessous étaient exposés des dizaines d'objets, magnifiques, des colliers de diamant, des boucles d'oreilles en cristal. Des femmes s'arrêtaient, admiraient, regrettant que la fortune de leur époux ou amant ne soit pas assez étendue pour leur permettre de leur payer de telles splendeurs.
Soudain, et si vite qu'on faillit ne pas la remarquer, une main fusa. Elle s'empara, d'un rapide mouvement d'aller retour, d'un collier splendide, tout de diamants et de gemmes, d'un bracelet d'or et de pendants d'oreilles en émeraude et argent. Puis elle se retira.
Le marchand poussa un cri: c'étaient ses plus belles pièces!
Il se jeta à la poursuite de la voleuse, une jeune femme qui avait bondi par-dessus un mur. Les femmes le suivirent, et en quelques secondes une belle pagaille s'empara de la rue.
Adossée négligemment à un mur qui avait dû être blanc mais n'était plus que d'un gris indéfinissable, une jeune femme releva un peu la tête lorsque le marchand passa devant elle en braillant "au voleur, au voleur!". Ses longs cheveux noirs cascadaient dans son dos, son teint était pâle, très pâle, son visage fin, tout en pointes, mais sans être anguleux pour autant. Elle avait de grands yeux de nuit, qui pouvaient être de pierre ou de velours. Pour l'heure, ils étaient d'encre. Mais un de ces yeux était à demi caché par une mèche, du côté droit, coupée en dégradé, et qui tombait sur son front d'albâtre.
Rilend eut un sourire. Elle se coula, si discrètement que personne ne la vit, dans la boutique délaissée. Une fois dans la place, elle prit son temps. Il lui fallait de nouveau vêtements, les siens commençaient à être pour le moins usés. Plutôt que d'acheter des tenues -avec quoi? Elle n'avait pas d'argent, et vivait sans- elle choisissait de se servir dans les boutiques.
Elle attrapa un pantalon moulant, de cuir chocolat, une tunique grise bleu, couleur d'orage, à la matière chatoyante, qui devait valoir beaucoup, et compléta la panoplie avec une veste de cuir, chocolat elle aussi, aux motifs discrets brodés en fils d'or.
Rilend se changea dans la boutique, laissa ses vêtements abîmés sur un cintre et ressortit pimpante et splendide, dans ces habits qu'on aurait cru taillés sur mesure. On ne la remarqua même pas. Le marchand revenait, Rilend reprit sa position d'attente, elle aurait aimé s'agenouiller, une jambe fléchie, pointe de pied mais pas genou au sol, et l'autre à angle droit, plante de pied au sol, mais elle savait qu'on la remarquerait si elle le faisait. Dommage, elle aimait beaucoup cette position. Elle était confortable mais efficace: Rilend était alors prête à bondir, comme un fauve tapi.
Le cri de rage et de désespoir mêlés du marchand retentit dans la rue. Rilend étouffa un sourire dur. Une fortune en bijoux et vêtements, perdue en quelques minutes. Tant pis pour lui, il n'avait qu'à être moins crétin après tout. Elle se dressa souplement, il faudrait qu'elle vienne plus souvent se servir ici, le vendeur semblait être un vrai naïf.
Un homme poussa un cri "La voleuse!" en la voyant. Faillit pousser un cri. Voulut pousser un cri. Déjà Rilend l'avait saisi derrière la nuque, et d'une pression rapide lui avait brisé le cou. Silencieux pour toujours, l'homme s'affaissa. Rilend n'avait même pas eu besoin de tirer son katana.
Elle sourit, un sourire dur et carnassier, et observa le corps de l'homme. Puis elle alla se placer ailleurs, et reprit sa posture d'observation silencieuse.